Rabougrir le camp républicain affaiblit l’universalisme
Tout au long de l’été, une partie de la droite présidentielle a instrumentalisé les soulèvements urbains pour rétrécir le camp républicain. En adoptant la posture du juge constitutionnel, certains députés se sont crus aptes à décider de qui étaient suffisamment alignés avec le discours d’Emmanuel Macron pour être à leurs yeux de vrais républicains. Ces gens-ci ont perdu leur boussole : les valeurs de la République n’ont jamais été définies par rapport à la fidélité au chef présidentiel. Au contraire, remettre en cause le Président Jupiter est une preuve de l’attachement à l’équilibre des pouvoirs, donc à la République.
Ces débats sur les frontières de “l’arc républicain” n’ont qu’une conséquence : l’affaiblissement des projets d’égalité et d’émancipation. Parmi ceux-là, l’universalisme est celui qui nous tient particulièrement à cœur, en tant que socialistes, en tant que partisans de la République sociale et démocratique, c’est-à-dire en tant que défenseurs de la Justice.
Le camp présidentiel a perdu tout crédit dans son rôle de garant de la République comme projet égalitaire, comme promesse d’émancipation. A ses côtés, les responsables politiques d’extrême droite en profitent pour instrumentaliser le message universaliste, sans se gêner pour le dénaturer. Une voie se dessine donc pour la gauche : affirmer son attachement viscéral à l’universalisme et ne jamais cesser de militer pour davantage de solidarité humaine.
Forgé par la gauche, l’universalisme est une promesse d’émancipation
Si les débats actuels ont tendance à s’envenimer, c’est bien qu’ils oublient la nature même de l’universalisme. Contrairement à ce que disent ses faux défenseurs, il n’est pas un camp, pas le monopole d’un parti. L’universalisme est avant tout un projet, une promesse, un élan qui par sa force peut rallier toutes les citoyennes, tous les citoyens à la cause républicaine. Cette promesse tire son origine dans l’histoire de la gauche. A ce titre, la République a raison de chérir deux moments, deux événements qui la mettant au défi ont su la renforcer.
La République affirme l’unité du genre humain pour mieux l’émanciper
Le premier d’entre eux est fondateur : la Révolution de 1789. Face à l’oppression d’une justice partiale, différente selon qu’on soit noble ou sans terre, vassal au suzerain, bien-né ou jeté par le hasard dans le Tiers-Etat, la Révolution s’est emparé des idées des Lumières pour déclarer que “tous les hommes naissent libres et égaux en droits” ; elle a ainsi affirmé l’unité du genre humain, pour mieux l’émanciper.
L’universalisme s’est donc affirmé comme moyen d’atteindre la Justice. Aussi, au commencement de cette histoire républicaine figure un monument glorieux : l’émancipation des Juifs par l’Assemblée constituante, le 28 septembre 1791. 50 000 juifs sont alors émancipés. Et dès les premières semaines de l’Assemblée, en 1789, l’abbé Grégoire, un des futurs leaders de la gauche, attire l’attention de ses collègues sur la question. Dans sa Motion en faveur des Juifs, il affirme : « Les Juifs sont membres de cette famille universelle, qui doit établir la fraternité entre les peuples ; et sur eux comme sur vous la Révolution étend son voile majestueux. Enfants du même père, dérobez tout prétexte à la haine de vos frères, qui seront un jour réunis dans le même bercail ; ouvrez-leur des asiles où ils puissent tranquillement reposer leurs têtes et sécher leurs larmes ; et qu’enfin le Juif, accordant au Chrétien un retour de tendresse, embrasse en moi son Concitoyen et son Ami. »
Pendant l’Affaire Dreyfus, c’est à gauche que la République a résisté contre l’injustice
Le deuxième événement est bien plus clivant à l’époque que les oppositions qui traversent aujourd’hui notre société ; nous pensons à l’Affaire Dreyfus. Parce que né Juif dans une France alors antisémite, le capitaine Dreyfus a subi fin 1894 une condamnation en intelligence avec l’Empire allemand. Une condamnation injuste et infondée, contre laquelle tous les Républicains réels, du radical Clémenceau au socialiste Jean Jaurès, ont su se mobiliser, et brandir l’universalisme pour faire taire ceux qui dans la foule scandaient “A mort les Juifs !”.
Pour ma famille politique – la gauche – cette épisode est fondateur. Car depuis le milieu du XIXème siècle la confusion entre capitalisme et capitalisme juif avait pu progresser au sein même des socialistes. L’idée de la complicité des juifs avec la République affairiste – celle du Panama – était alors très répandue dans les années 1890 et n’épargna pas la gauche (même si ce discours n’a rien à voir avec la persistance et la frénésie de l’extrême droite).
L’affaire Dreyfus marque un point de rupture dans l’histoire de la gauche et dans l’histoire nationale. Le 13 janvier 1898, l’article de Zola agit comme un détonateur. Son courage a donné du courage. “J’accuse” marque un tournant avec la constitution d’une gauche intellectuelle qui descend dans la rue au nom de la Justice. Après des mois d’hésitations, Jaurès prend position et rejette la thèse du caractère révolutionnaire de l’antisémitisme. Même les guesdistes qui avaient théorisé la distance par rapport à l’affaire au nom de la lutte des classes affirme le caractère réactionnaire de l’antisémitisme lors de leur congrès de septembre 1898 reprenant la formule de Bebel “le socialisme des imbéciles”. Enfin, la grande manifestation du 11 novembre 1899 pour “le triomphe de la République” finit en apothéose avec le slogan “Vive Dreyfus” scandé par le peuple parisien.
A gauche, l’universalisme dessine notre conception de la Nation. Bien sûr les socialistes sont républicains, et ainsi placent au-dessus des communautés particulières la communauté nationale. Mais en républicains c’est un attachement sincère que nous avons à la communauté nationale, et nous concevons la Nation non sur des critères ethniques ou culturels mais sur des critères politiques.
L’ennemi de l’universalisme n’est pas à gauche : il se trouve à l’extrême droite et nous avons le devoir de former face à elle la plus large coalition possible
Luttons contre la récupération de la République à des fins d’exclusion
C’est notre vision civique de la Nation qui fonde la proximité entre le patriotisme et l’internationalisme à gauche. Jaurès en a fixé la formule : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. » La Nation française est grande parce qu’elle accueille en son sein un peuple dont la diversité est transcendée par l’attachement viscéral aux principes républicains. Ainsi jamais un projet politique ne peut se dire universaliste s’il a pour objet l’exclusion de certains hors de la communauté nationale, hors de “l’arc républicain”.
Là se trouve le nœud de l’affaire : il est mené, à côté du projet républicain, une entreprise de récupération, d’instrumentalisation, de dévoiement complet de l’universalisme au service d’une politique d’exclusion. A une certaine époque, universalisme servait de synonyme pour impérialisme, et venait justifier la colonisation de peuples entiers au nom d’une soi-disant mission civilisatrice. Mais l’universalisme ne vise pas la civilisation, il vise l’émancipation.
Quand les thuriféraires de l’identité s’improvisent universalistes ou s’en réclament, il ne faut pas tomber dans le panneau. La droite et encore plus l’extrême droite française sont obsédés par la question de l’identité mais se sont érigées depuis une petite décennie comme les héros de l’universalisme. Et pourtant, c’est la droite, avec Laurent Wauquiez et Eric Ciotti, sont montés aux créneaux pour défendre l’idée de crèche chrétienne dans les mairies pour Noël. Une laïcité et un universalisme à géométrie variable.
A côté, le RN tente de nous faire croire qu’ils ont changé. Mais s’ils cachent leurs idées sous des costumes fringants, d’autres groupuscules les assument pour eux et commettent des actes et paroles intolérables. Avis aux
défenseurs de l’universalisme : le danger pour la République n’est pas à gauche ; le différencialisme d’extrême droite, voilà l’ennemi !
L’ennemi de l’universalisme, c’est toujours l’extrême droite
Depuis quelques années nous connaissons une inflation inquiétante des groupes d’extrême droite comme Génération Identitaire. Pour rappel, le Gouvernement a décidé, le 3 mars 2021 , de dissoudre l’association Génération identitaire sur le fondement du code de la sécurité intérieure (CSI) qui permet de dissoudre les associations qui constituent des groupes de combat ou milices privées, ou qui incitent à la haine, à la violence et à la discrimination des personnes en raison de leur origine, de leur race ou de leur religion. Cette association, son président et son porte-parole ont demandé au juge des référés du Conseil d’Etat de suspendre cette dissolution.
Le juge des référés du Conseil d’Etat a observé que sous couvert de contribuer au débat public sur l’immigration et de lutter contre le terrorisme islamiste, l’association propage des idées qui justifient ou encouragent la discrimination, la haine ou la violence envers les étrangers et la religion musulmane (par exemple, ses slogans et messages tels que « Immigration, Racaille, Islamisation-Reconquête » ou les termes du « Pacte » que ses sympathisants sont invités à signer).
L’association organise également des évènements créant ou entretenant des sentiments xénophobes ou racistes et incite régulièrement, à l’occasion de faits divers, à la violence en désignant les étrangers à la vindicte. En outre, l’association ne se désolidarise pas des agissements de ses militants qui donnent lieu à poursuites ou à condamnations pénales.
Le juge des référés du Conseil d’Etat a observé que cette association peut être identifiée comme une formation paramilitaire. Il relève également que l’association souhaite « entrer en guerre », qu’elle utilise une imagerie et une rhétorique guerrières. Elle organise des camps d’été au cours desquels des exercices de combat sont proposés ainsi que des actions imitant l’action des forces de l’ordre et leurs uniformes afin de faire constater leurs prétendues défaillances et d’apparaître comme un recours.
La République n’est pas un monument pour commémoration : elle un combat au présent, qui se renouvelle grâce aux luttes actuelles pour la solidarité humaine
La lutte antiraciste et la fraternité de l’aide aux migrants ravivent les couleurs de l’universalisme
Alors que la haine vis-à-vis de l’immigration bat son plein et monte en puissance, nous devons affirmer avec force la grandeur morale et civique de l’aide aux migrants. C’est d’ailleurs en prenant en compte ces éléments que le Conseil Constitutionnel a reconnu le principe de fraternité dans sa décision du 6 juillet 2018. M. Cédric H. et autres étaient accusés de délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire français. Le Conseil a rappelé les principes de solidarité dont découle le droit de venir en aide aux migrants :
“Aux termes de l’article 2 de la Constitution : « La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité” ». La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l’« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Toutefois, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle.”
De même, la lutte contre les discriminations racistes n’est pas dernière nous. Face à une avancée majeure de l’extrême droite (41,5% au 2nd tour de la présidentielle, 89 députés RN) il est urgent de redonner de l’espoir à l’ensemble des acteurs de la lutte antiraciste par des initiatives parlementaires, par des propositions de lois. D’ailleurs, la dernière enquête d’opinion réalisée par Harris interactive pour la Maison des potes nous dit que plus de 80% des français veulent plus de sanction contre les discriminations racistes, plus de 70% réclament le CV anonyme contre les discriminations racistes, près de 60% réclament l’ouverture des emplois fermés aux non europeens et la régularisation des travailleurs sans papiers et près de 50% réclament le droit de vote des étrangers non européens.
Les initiatives politiques et parlementaires contre les discriminations racistes, xénophobes et islamophobes sont essentielles pour combattre efficacement le Rassemblement National. Il faut aussi reprendre l’offensive pour combattre les discriminations racistes qui existent déjà massivement alors que le RN n’est pas encore au pouvoir. Du côté du législateur, certains chantiers doivent être reposés :
- obliger les employeurs à une formation anti-discrimination ;
- instaurer un registre anti discrimination pour les recruteurs ;
- rétablir le CV anonyme à l’embauche ;
- donner la possibilité aux associations antiracistes de saisir la mission d’inspection du logement social ;
- interdire les contrôles de police aux faciès.
Ces combats doivent être portés par les socialistes partout où ils le peuvent ; nous savons que toutes les composantes de la gauche parlementaire sauront se réunir pour les porter ensemble.