Politique de la ville : « Non, les banlieues ne jouissent pas d’un traitement de faveur »
Un collectif d’élus, au sein duquel figurent votre député Jérôme Guedj, Stéphane Raffalli, maire de Ris-Orangis (Essonne), et Ali Rabeh, maire de Trappes (Yvelines), appelle le président Emmanuel Macron, dans une tribune au « Monde », à mettre en place un observatoire national permettant de géolocaliser les budgets publics.
Monsieur le Président, le 4 juillet, vous receviez au palais de l’Elysée 220 maires qui avaient dû faire face, quelques jours auparavant, à des révoltes d’une rare intensité dans leur commune. En conclusion de ces échanges francs et directs qui ont duré plus de quatre heures, vous aviez expressément demandé aux élus locaux leurs contributions écrites pour la rentrée de septembre. De cette façon, leurs retours d’expérience vous permettraient de mieux comprendre et de bien répondre à ces faits d’une grande gravité impliquant des milliers d’adolescents et de jeunes adultes.
Aussi avons-nous souhaité vous adresser nos doléances au nom des centaines de milliers d’habitants de nos territoires. De cette façon, nous souhaitons vous exhorter à mettre en place, dans les meilleurs délais, un observatoire national permettant une géolocalisation des budgets publics. Grâce à cette donnée objective qui comptabilisera les apports financiers de l’Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités locales, territoire par territoire, nous pourrons enfin avoir un débat public mature sur les vraies inégalités au sein de notre pays.
En effet, les nuits d’émeutes étaient à peine terminées, et les tensions encore palpables, que nous avons vu les virtuoses de la fracturation sociale nous resservir, sur les ondes radio et les plateaux de télévision, le discours rance sur les « milliards versés aux banlieues » dont le sous-entendu raciste est évident. Entendre l’extrême droite opposer la France périphérique des sous-préfectures et des zones rurales aux banlieues populaires n’est malheureusement pas surprenant. Mais que d’autres élus de l’arc républicain leur emboîtent le pas pour justifier l’absence de moyens supplémentaires pour les banlieues est effrayant.
La réalité est bien différente. Les crédits de la politique de la ville sont limités, inférieurs à 1 % du budget de l’Etat pour des quartiers qui réunissent près de 10 % de la population française et où sont concentrés les plus pauvres et les plus précaires.
En outre, les budgets de I’Agence nationale pour la rénovation urbaine ne sont pas des deniers issus des caisses de l’Etat. Ils proviennent à 96 % d’Action Logement, l’ex-1 % logement, et des bailleurs sociaux. Par le paiement de leurs loyers, ce sont donc les occupants des habitations à loyer modéré qui financent la rénovation de leurs habitats, des espaces et équipements publics à proximité de chez eux.
Statistiques d’intérêt général
Surtout, ces moyens ne viennent pas compenser l’inégale allocation des crédits de droit commun et des politiques régaliennes de l’Etat : école, université, recherche, hôpital, transport, emploi, police et justice, notamment. Là aussi, les disparités sont criantes, et largement documentées par les sciences sociales.
De plus, nos territoires, souvent situés en lisière des métropoles, ont subi de plein fouet, durant les quatre dernières décennies, des phénomènes de désindustrialisation et de gentrification avec une excessive concentration des richesses dans les centres-villes. Les investissements publics ont souvent exacerbé ces inégalités territoriales et sociales, plutôt que de les corriger.
Ultime paradoxe, les agglomérations où l’on constate une spécialisation sociale inquiétante sont souvent d’importants contributeurs à la solidarité nationale, sans que leurs populations en bénéficient à juste proportion.
Les banlieues et les quartiers populaires ne jouissent pas d’un traitement de faveur, la discrimination positive n’existe que dans l’esprit de ceux qui la dénoncent. Les habitants de nos villes ne demandent pas de privilèges ; ils veulent simplement une égalité de traitement.
Le discours nauséabond sur les supposés « milliards pour les banlieues », qui suscite parfois le ressentiment d’habitants d’autres territoires, eux aussi en souffrance, et qui délégitime la politique de la ville, a été tellement répété qu’il est de plus en plus difficile de le contester. Pour sortir de la polémique stérile et de l’impasse, nous devons faire la transparence sur l’argent consacré par I’Etat, la Sécurité sociale et les collectivités locales à tous les territoires, des banlieues et d’ailleurs.
Nous devons constituer une banque de données pour adresser avec précision les crédits publics et démontrer, chiffres à l’appui, que les quartiers pauvres sont souvent maltraités.
Une proposition analogue avait été formulée dans le rapport qui vous avait été remis par l’ancien ministre délégué à la ville Jean-Louis Borloo, en avril 2018. Bien que ce travail collectif, transpartisan, n’ait pas eu de suite, vous aviez indiqué que la création de cet observatoire d’aide à la décision était indispensable. A ce jour, rien n’a encore été mis en œuvre et l’accès à ces statistiques d’intérêt général nous est toujours interdit.
Chacun garde à l’esprit le mouvement des « gilets jaunes » à l’hiver 2018 et la révolte de notre jeunesse en juillet dernier. A l’heure où les enjeux de notre cohésion nationale n’ont jamais été aussi sensibles, les citoyens de nos communes populaires comptent sur vous pour construire l’évidence, en créant cet outil de cartographie de la répartition des deniers publics.
Premiers signataires : Farida Amrani, députée (LFI) de l’Essonne ; Nadège Azzaz, maire (PS) de Châtillon (Hauts-de-Seine), conseillère régionale d’Ile-de-France ; Philippe Brun, député (PS) de l’Eure ; Grégory Doucet, maire (EELV) de Lyon ; Franck Gagnaire, conseiller départemental d’Indre-et-Loire ; Jérôme Guedj, député (PS) de l’Essonne ; Jean-Pierre Javelot, maire de Montreuil-sur-Epte (Val-d’Oise) Gilles Leproust, maire (PCF) d’Allonnes (Sarthe) ; Marie Pochon, députée (écologiste) de la Drôme ; Ali Rabeh, maire (Génération.s) de Trappes (Yvelines) ; Stéphane Raffalli, maire (PS) de Ris-Orangis (Essonne) ; Laurence Rossignol, sénatrice (PS) du Val-de-Marne ; Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis… Retrouvez ici la liste complète des signataires.
Retrouvez cette tribune se trouve sur Le Monde.