« Il faudra bien changer de braquet et outiller réellement une politique publique de la laïcité. »
Marianne : “Affaire Samara : pourquoi Jérôme Guedj saisit la justice sur un article méconnu de la loi de 1905”
C’est une tragique affaire dont de nombreux fils restent à démêler. Quel engrenage, quelles motivations ont mené à la violente agression d’une adolescente ce 2 avril devant son collège de Montpellier ? Pour éclaircir les faits, Nicole Belloubet a annoncé le lancement d’une enquête administrative qui doit rendre des conclusions sous huit jours. Par ailleurs, trois mineurs âgés de 14 et 15 ans ont été placés en garde à vue le 3 avril pour tentative de meurtre sur mineur.
Pour le député Jérôme Guedj, les propos de la mère de la jeune fille gravement blessée, affirmant que celle-ci aurait été « prise en grippe » par une collégienne et traitée de « mécréante » ne sont pas à prendre à la légère. L’élu, secrétaire national du Parti socialiste (PS) en charge des questions de laïcité a saisi le procureur de Montpellier pour des « menaces de nature religieuse », en s’appuyant sur l’article 31 de la loi du 9 décembre 1905, peu utilisé. Auprès de Marianne, le parlementaire explique sa démarche.
Marianne : Pourquoi avez-vous décidé de saisir le procureur au titre de l’article 31 de la loi de 1905 ?
Jérôme Guedj : C’est le témoignage bouleversant de la maman Samara qui déclenche cette démarche. Si la justice est saisie de la tentative de meurtre, ce que dit la maman indique que les pressions, les menaces, le harcèlement sont anciens. Et qu’il repose manifestement sur un rapport à la pratique religieuse : Samara est traitée de « mécréante », sa mère invoque des conceptions différentes de l’islam avec les jeunes filles qui ont provoqué le lynchage. Or menacer quelqu’un pour sa manière de pratiquer la religion, c’est une atteinte à la laïcité. C’est même prévu depuis la loi du 9 décembre 1905, dans son article 31 : « Sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ceux qui, soit par menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, ont agi en vue de le déterminer à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte »
Mais personne ne l’utilise jamais. En saisissant le procureur sur ce motif, pour que l’enquête établisse cette atteinte à l’article 31, c’est une manière de réhabiliter cette mesure de police de la laïcité, pour permettre à cette liberté d’être effective : si on me force à croire ou à appliquer telle conception de la religion, c’est un délit. Si on m’empêche de croire ou de pratiquer la religion comme je le souhaite, c’est aussi une atteinte répréhensible en soi. C’est ainsi que l’on confirmera que la laïcité est bien une loi de protection pour tous, croyants et non-croyants.
Vous soulignez dans votre lettre au procureur de Montpellier que cet article donne assez peu lieu à des poursuites judiciaires. Pourquoi ? Avez-vous des exemples récents de son utilisation ?
La déshérence de cet article 31, c’est le symbole de nos renoncements à défendre et promouvoir la laïcité. À ma connaissance, cet article, pourtant toiletté lors de la loi sur les valeurs de la République en 2021, ne donne lieu à quasiment aucune plainte, et donc sans procès, pas de jurisprudence. Pour qu’il y ait des poursuites, il faut deux choses qui n’existent pas actuellement : que chacun connaisse ce droit qui protège ; que la justice l’applique. Cela suppose une politique pénale, des instructions données aux Parquets, une formation des policiers pour recueillir et qualifier ces plaintes. Au mieux, d’autres infractions vont être invoquées pour poursuivre : l’incitation à la haine raciale, le harcèlement moral, la discrimination religieuse, les violences. Mais pour défendre la laïcité, utilisons le droit de la laïcité.
Trouvez-vous la réponse du gouvernement à la hauteur suite à cette agression de Montpellier ?
L’enquête pour tentative de meurtre est une évidence. Mais il faut là aussi décrypter ce qui s’est passé dans les jours et semaines qui précèdent, et qui aurait pu éviter d’en arriver à ce drame : pourquoi la police n’a pas été informée des menaces ? Comment l’établissement a protégé la jeune fille alors que les rumeurs menaçantes se faisaient insistantes ? A-t-il saisi le rectorat et le référent « valeurs de la République » de cette situation… Et de manière plus systémique, y a-t-il une résignation face à ces atteintes manifestes à la laïcité entre élèves, comme c’est trop souvent le cas quand cela concerne les relations entre les enseignants et les élèves ?
Toutes ces questions, que l’enquête administrative devra aborder, renverront immanquablement à la question des moyens humains, de la formation des équipes éducatives, de la sensibilisation des élèves, du rôle des réseaux sociaux et de la solidité du soutien de l’institution scolaire face à ces déstabilisations larvées ou frontales venant d’élèves ou de parents d’élèves. Ce qui est désespérant, c’est que ces mêmes questions étaient déjà sur la table après l’assassinat de Samuel Paty. Il faudra bien changer de braquet et outiller réellement une politique publique de la laïcité, localement et nationalement, à l’école et au-dehors, qui ne se contentent pas de mots.
Dans cette affaire, les enquêtes de la justice comme de l’Éducation nationale devront donner des précisions sur le déroulement des faits et éclaircir les motivations précises qui ont mené à l’agression. Mais avez-vous l’impression que de manière générale les questions religieuses sont devenues une source de tension chez les jeunes ?
De plus en plus, oui. Et sous deux formes. D’abord, toutes les enquêtes le confirment, sous couvert de tolérer et respecter les minorités, ils expriment une préférence pour le droit à la différence et à ne pas être offensé (on le voit avec une incompréhension du blasphème). Dans mes échanges avec les lycéens, le rejet de la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux est souvent exprimé au nom d’un lénifiant « venez comme vous êtes ».
Toutes ces questions, que l’enquête administrative devra aborder, renverront immanquablement à la question des moyens humains, de la formation des équipes éducatives, de la sensibilisation des élèves, du rôle des réseaux sociaux et de la solidité du soutien de l’institution scolaire face à ces déstabilisations larvées ou frontales venant d’élèves ou de parents d’élèves. Ce qui est désespérant, c’est que ces mêmes questions étaient déjà sur la table après l’assassinat de Samuel Paty. Il faudra bien changer de braquet et outiller réellement une politique publique de la laïcité, localement et nationalement, à l’école et au-dehors, qui ne se contentent pas de mots.
Dans cette affaire, les enquêtes de la justice comme de l’Éducation nationale devront donner des précisions sur le déroulement des faits et éclaircir les motivations précises qui ont mené à l’agression. Mais avez-vous l’impression que de manière générale les questions religieuses sont devenues une source de tension chez les jeunes ?
De plus en plus, oui. Et sous deux formes. D’abord, toutes les enquêtes le confirment, sous couvert de tolérer et respecter les minorités, ils expriment une préférence pour le droit à la différence et à ne pas être offensé (on le voit avec une incompréhension du blasphème). Dans mes échanges avec les lycéens, le rejet de la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux est souvent exprimé au nom d’un lénifiant « venez comme vous êtes ».
Toutes ces questions, que l’enquête administrative devra aborder, renverront immanquablement à la question des moyens humains, de la formation des équipes éducatives, de la sensibilisation des élèves, du rôle des réseaux sociaux et de la solidité du soutien de l’institution scolaire face à ces déstabilisations larvées ou frontales venant d’élèves ou de parents d’élèves. Ce qui est désespérant, c’est que ces mêmes questions étaient déjà sur la table après l’assassinat de Samuel Paty. Il faudra bien changer de braquet et outiller réellement une politique publique de la laïcité, localement et nationalement, à l’école et au-dehors, qui ne se contentent pas de mots.
Dans cette affaire, les enquêtes de la justice comme de l’Éducation nationale devront donner des précisions sur le déroulement des faits et éclaircir les motivations précises qui ont mené à l’agression. Mais avez-vous l’impression que de manière générale les questions religieuses sont devenues une source de tension chez les jeunes ?
De plus en plus, oui. Et sous deux formes. D’abord, toutes les enquêtes le confirment, sous couvert de tolérer et respecter les minorités, ils expriment une préférence pour le droit à la différence et à ne pas être offensé (on le voit avec une incompréhension du blasphème). Dans mes échanges avec les lycéens, le rejet de la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux est souvent exprimé au nom d’un lénifiant « venez comme vous êtes ».
Et ne soyons pas dupes : c’est aussi le fruit d’un travail de sape au long cours, à coups d’influenceurs islamistes, de réseaux sociaux, de remises en cause par petites touches pour tester la résistance de l’école, identifiée de longue date comme le point de bascule de toute la société. La deuxième manifestation de la prégnance du fait religieux, c’est ce qu’on a vécu à Montpellier : l’imposition d’une norme, d’un modèle dominant, une religiosité d’atmosphère. Et là, on ne fera pas l’économie des enjeux de mixité sociale et de ségrégation spatiale et ethnique.