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L’Opinion : « Réinventer un projet unitaire, sur d’autres bases que celles de la conflictualité permanente. »

 

Retrouvez ici l’article de l’Opinion publié le 17 novembre 2023 par Antoine Oberdorf.

 

« Le contexte » : c’est le point d’entrée choisi par les dirigeants insoumis pour réagir à l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre. « En le lisant, j’ai été pris de dégoût, quelque chose de physique », se souvient Jérôme Guedj, plus d’un mois plus tard. Il a beau s’être souvent limé la cervelle avec les mélenchonistes, cette fois c’en est trop : le député PS de l’Essonne est le premier à hypothéquer les chances de survie de la coalition de gauche, en condamnant le relativisme dans lequel s’enfoncent les « idiots utiles des terroristes du Hamas ». Derrière cette réaction épidermique, jugée prématurée, se loge un paradoxe : pourquoi un tel empressement à abattre la Nupes venant de son promoteur le plus zélé au sein du groupe socialiste ? « Jérôme se vivait comme le maillon fort entre les socialistes et LFI, du fait de sa relation passée avec Mélenchon, observe le patron des députés PS, Boris Vallaud. Il a cassé ça. Maintenant, les mélenchonistes du canal historique lui en veulent à mort ».

Avec le pogrom en terre d’Israël, le fond de l’air a changé : des portraits d’otages israéliens ornent les murs des rues de Paris, quand ce ne sont pas des inscriptions antisémites. Et pourtant, les bataillons insoumis se refusent toujours à qualifier la barbarie islamiste du Hamas. Ne comptez pas non plus sur eux pour défiler contre la haine des juifs avec le reste de la classe politique. « De tristes sires », souffle Jérôme Guedj. Lui n’a pas hésité à marcher dimanche 12 novembre sur l’esplanade des Invalides. « Est-ce que ça fait de moi un ami du soutien inconditionnel au massacre à Gaza ? » L’interpellation vise son ancien mentor, Jean-Luc Mélenchon. Entre Jérôme Guedj et le leader insoumis, c’est une histoire de trente ans : il y eut les débuts au Conseil municipal de Massy, puis les années partagées dans la vieille maison socialiste, jusqu’à la rupture, en 2008.

« Pour Jérôme, la charge émotionnelle du 7 octobre a été immense : c’est un bébé Mélenchon et un pro-Nupes assumé, ce que beaucoup de ses proches dans la communauté juive lui ont fait payer très cher, selon Luc Broussy, un fidèle parmi les fidèles, ancien président du Conseil national du PS. C’est sûr qu’il est plus facile de se faire applaudir dans la communauté en allant faire le guignol comme Zemmour au pied du mur des Lamentations ». Ce qu’il faut de nuance, et donc de courage, pour assumer, dans le même souffle, deux impératifs moraux : la libération immédiate de tous les otages et le cessez-le-feu immédiat.

« Depuis un mois, je prends des balles de tous les côtés, observe Jérôme Guedj. Si je dis que l’offensive israélienne est disproportionnée, je suis un traître. Si je dis qu’Israël a le droit de se défendre et de neutraliser le Hamas, je suis un laquais de Netanyahu. Je me fais déchirer par les anti-Nupes qui me pressent de déchirer le contrat et par les pro-Nupes qui m’en veulent d’avoir dégainé trop vite ». Désormais, ce partisan de l’unité fustige « la gauche la plus bête du monde », rendue inaudible par ses outrances sur le conflit israélo-palestinien.

Déjà identifié comme l’un des députés les plus en vue du groupe PS depuis le début de la législature, Jérôme Guedj a piqué la curiosité des journalistes en posant « la question » fatidique du devenir de l’alliance. Mais aucun ne s’est aventuré sur le terrain de sa judéité. Sans doute par volonté de ne pas heurter un responsable politique de 51 ans qui n’a qu’un mot à la bouche : « l’universalisme républicain », ou la promesse de ne jamais voir ses orientations suspectées sur le mode « d’où tu parles, camarade ? ».

 

« Juif de service ». L’enfant de Massy a longtemps été « terrifié à l’idée d’être catalogué comme le juif de service ». Son « pote de droite », Edouard Philippe, rencontré sur les bancs de Sciences Po alors qu’ils préparaient tous deux l’ENA, a toujours perçu chez Jérôme Guedj cette obsession de « ne pas être prisonnier de son identité, sans pour autant la nier ». « Il a toujours veillé à ce que son engagement contre l’antisémitisme ne se transforme jamais en validation inconditionnelle de l’action israélienne », remarque l’ancien Premier ministre.

Alors que les images de centaines de civils massacrés par le Hamas au seul motif qu’ils étaient juifs défilent dans sa tête, que les noms d’Ilan Halimi et Mireille Knoll refont surface, une interrogation agite Jérôme Guedj dans ses nuits blanches : « Comment expliquer un tel déficit d’empathie ? » Pour dissiper la confusion, il aime échanger avec son amie, la rabinne, Delphine Horvilleur. « Ensemble, nous ne parlons pas ou peu de politique, sauf à considérer que l’humour juif est politique, s’amuse cette grande voix du judaïsme libéral. L’humour, c’est une arme de consolation massive face au désespoir, une manière de jouer avec les mots pour refuser la tragédie ». A l’inverse, poursuit l’autrice, « Jean-Luc Mélenchon manie les mots comme une arme de destruction massive ».

« Être un jeune juif de gauche aujourd’hui, c’est plus difficile que jamais parce qu’on est éclaboussé par l’émetteur principal qu’est La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon », déplore Jérôme Guedj. Il est devenu, malgré lui, le dernier homme de gauche fréquentable invité par les représentants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), celui vers lequel les adolescents en kippa affluent lors des manifestations en soutien du peuple israélien organisées par le Crif. Le philosophe juif américain Elie Wiesel avait décidément vu juste : « dans l’histoire juive, la coïncidence n’existe pas ». En politique, non plus.