Loi bien vieillir : « Les vieux méritent mieux » (Libération)
Cette tribune est parue dans Libération (site web) le 23 novembre dernier.
Le député socialiste regrette la «timidité» du texte «pour bâtir la société du bien vieillir » adoptée le 23 novembre à l’Assemblée, et appelle à une alliance transpartisane sur un sujet qui concerne l’ensemble de la société.
En juin 2018, au lendemain d’une grève inédite dans les Ehpad pour déjà réclamer plus de personnels et à la surprise générale car il n’en avait pas du tout parlé dans son programme, le président Macron promettait une loi grand âge, et la nécessité «d’avoir un débat national, indispensable pour répondre au nouveau risque de la dépendance». Et «ce marqueur social du quinquennat» était annoncé pour fin 2019, puis pour fin 2020… Puis plus rien. La malédiction procrastinatrice, qui avait déjà frappé les deux précédents présidents de la République, s’était encore abattue.
Et voilà que le 22 novembre 2023, Elisabeth Borne annonce une loi de programmation pour le grand âge au 1er semestre 2024, précisant à notre demande insistante l’annonce faite par Aurore Bergé quelques jours plus tôt. Depuis des mois, les parlementaires unanimes réclamaient une véritable loi grand âge, en complément de la timide proposition de loi dite «bien vieillir» que des députés Renaissance opiniâtres avaient obtenu en attendant mieux. Plus de cinq ans se sont donc écoulés entre ces deux annonces. Des rapports de qualité se sont accumulés, formulant des propositions à foison. Mais, que de temps perdu ! Alors même que l’urgence est là. Les familles sont inquiètes face au reste à charge !
Double renoncement
Avec ma collègue Christine Pirès Beaune, chargée par le gouvernement d’une mission, nous proposons en lieu et place du maquis des aides existantes et insuffisantes, de créer une prestation universelle et dégressive selon le revenu, fusionnant l’allocation pour personnes âgées, les aides au logement, l’aide sociale à l’hébergement et les réductions d’impôts. Les salariés des services à domicile, quasi exclusivement des femmes, galèrent, empêtrés dans des conditions de travail et de rémunération dévalorisantes, fondées sur une archaïque et précarisante tarification à l’heure. Les mêmes difficultés de recrutement frappent les Ehpad, dont le modèle doit être repensé de fond en comble : bien sûr après le scandale Orpéa pour lutter contre les dérives d’une financiarisation de la santé qui se gave au détriment de la dignité. Mais salariés et résidents souffrent d’une insuffisance chronique de bras. Il faut imposer et financer des ratios minimums de personnel (au moins 8 salariés pour 10 résidents quand on stagne actuellement à 6 pour 10). La seule promesse d’Emmanuel Macron sur le grand âge en 2022 était de financer 50 000 postes d’infirmières et d’aides-soignantes dans les Ehpad. C’était déjà notoirement insuffisant, les besoins réels étant estimés à 20 000 par an. Et le gouvernement a d’ores et déjà opéré un double renoncement, en ne prévoyant en 2023 et 2024 au total que 9 000 postes, soit un salarié de plus par Ehpad. Et surtout en repoussant de trois ans l’engagement présidentiel…
L’urgence, c’est aussi la nécessité de préparer la société à la massification du vieillissement : en adaptant les logements, l’espace public et les transports, pour voir la ville et les villages avec un oeil de vieux ; pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, fléau social dont les Petits Frères des Pauvres alertent chaque année. Or sur tous ces sujets, la stratégie interministérielle présentée par Aurore Bergé le 17 novembre ne constitue qu’un patchwork brouillon de mesures pour la plupart déjà existantes et d’intentions sans déclinaison opérationnelle. Pour dépasser l’invisibilisation des vieux et de ceux qui les accompagnent, aidants familiaux et professionnels, et appréhender la révolution de la longévité avec le même niveau d’exigence que la transition écologique ou la transformation digitale, il ne faut ni angélisme (la solidarité s’organisera spontanément à moyens constants), ni catastrophisme (le tsunami gériatrique va tout balayer, les vieux sont une charge). Mais une nécessaire planification méthodique, qui n’enferme pas les enjeux du vieillissement dans le seul prisme des questions sanitaires ou médico-sociales : «L’arbre de la dépendance ne doit pas cacher la forêt du vieillissement.»
Les vieux, c’est nous tous
La préparation de la loi grand âge est ici cruciale. Aurore Bergé nous dit qu’elle sera transpartisane. Chiche ! Avec les députés socialistes, nous avons rédigé depuis avril dernier une proposition de loi pour garantir le droit de vieillir dans la dignité. Elle est sur la table pour nourrir le débat. Il faut d’abord poser comme préalable de sortir d’une approche technocratique en silos. «Rien sans les vieux pour les vieux», comme le réclame le Conseil national autoproclamé de la vieillesse qui a organisé le week-end du 18 novembre le vivifiant contre-salon des vieux et des vieilles. La politique est faite de rapports de force, et pour l’instant le lobby vieux peine à se faire entendre. Or les vieux d’aujourd’hui et de demain, c’est nous tous. Et évidemment, rien n’avancera si la question du financement continue à être ignorée : 9 à 10 milliards d’euros supplémentaires sont nécessaires à l’horizon 2030. C’est pourquoi sans tarder, une conférence du financement doit être convoquée, pour arbitrer, mais en partant des besoins. La solidarité nationale dans le cadre de la Sécurité sociale doit compléter les nécessaires solidarités familiales et il faut avoir la lucidité d’assumer qu’elle passera immanquablement par une augmentation des prélèvements obligatoires en organisant le juste partage de la richesse. Le Gouvernement s’y refuse pour l’instant. Mais ce débat national doit avoir lieu.
A l’inverse de ce que nous avons pu vivre pendant la réforme des retraites, le gouvernement doit s’engager dans une réelle démarche de compromis, avec les parlementaires, les élus locaux, les acteurs de la société civile, à commencer par les vieux eux-mêmes. Le sujet du grand âge et de la longévité peut fédérer les intérêts et de bâtir des ponts par-dessus les clivages, afin de prendre en compte une transition démographique qui, si elle n’est pas anticipée à temps, aura la peau de notre pacte social et nourrira une guerre des âges.